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Facebook à Jussieu ? SUD éducation appelle au boycott !

mercredi 15 décembre 2021

Aujourd’hui, un séminaire généralement apprécié par les collègues de physique invite un chercheur représentant une entreprise privée : n’y a-t-il que nous que cela questionne ? Qu’est-ce que cela révèle du fonctionnement actuel de la recherche publique ?

Dans le contexte d’une libéralisation de l’enseignement supérieur, il nous apparaît important d’être vigilant quant à l’indépendance de la recherche vis-à-vis des entreprises privées : l’ESR bénéficiant toujours de moins en moins de moyens publics, la recherche devient dépendante de financements privés, qui ont leur propres intérêts, et pour qui les financements de recherche sont un moyen comme un autre de les défendre, bien souvent à l’opposé de celui de produire une recherche de qualité et éthique.

Dans le cas de Facebook, qui, rappelons-le, possède entre autres Instagram et WhatsApp, on est en droit de se demander : quels sont ces intérêts ? Le fonctionnement de Facebook est simple, cette entreprise fait commerce de la vie privée, littéralement : elle vend des données à des personnes souhaitant diffuser un message – et elle ne s’en cache même pas (voir sur leur propre site). Ce fonctionnement peu éthique est à l’origine de plusieurs scandales à grande échelle, qui ne sont pas sans conséquence sur notre vie politique actuelle : crise des fake news, manipulation des électeurs ayant favorisé l’élection de Donald Trump (affaire Cambridge Analytica), censure (fermetures de pages de Gilets Jaunes et de syndicats pendant des mouvements sociaux), etc. Dernièrement, une fuite de documents internes de Facebook sur la santé mentale des adolescents a confirmé ce que des équipes de recherche disent depuis longtemps concernant la nocivité d’Instagram. De plus, le numérique, dont Facebook est l’un des mastodontes, est le secteur d’activité dont l’empreinte environnementale croît le plus vite. Enfin, comme toute GAFAM qui se respecte, Facebook pratique l’évasion fiscale, ce qui constitue une perte pour l’État estimée à plusieurs centaines de millions d’euros.

Dans ce contexte, accueillir Facebook à l’université, c’est lui offrir une légitimité scientifique, et faire indirectement la promotion de la recherche privée. La présentation du séminaire d’aujourd’hui ne cache pas ses ambitions : il appelle ouvertement à une collaboration étroite avec la recherche scientifique, dans un but avoué d’accélération de la recherche scientifique. Nous posons donc les questions : Est-ce vraiment d’accélération dont la recherche a besoin ? La perte de son indépendance est-elle un prix raisonnable à payer ? Bénéficiant de bien plus de moyens financiers que la recherche publique (Facebook publie un budget R&D de 12 milliards d’euros/an, soit presque 4 fois celui du CNRS !), les GAFAM représentent une opportunité “intéressante” pour les meilleurs étudiants, et même pour des chercheurs établis dans la recherche académique – en témoigne par exemple le parcours de l’orateur du jour, issu du CNRS. À l’heure actuelle, Facebook finance des thèses (aux salaires bien plus élevés que l’allocation ministérielle) et recrute parmi les meilleurs élèves de certains masters. Veut-on vraiment encourager ce modèle ? Si à court terme, des financements privés peuvent pallier le manque de financement public, et sembler offrir à certains chercheurs plus de liberté, à long terme, c’est l’effet inverse qui se produit : le financement privé fonctionne de pair avec la baisse de moyens publics, et l’entreprise ne finance in fine que ce qui peut lui rapporter.

Pour toutes ces raisons, nous appelons au boycott de ce séminaire, et invitons nos collègues à une réflexion autour de la collaboration scientifique avec les entreprises privées, notamment (mais pas seulement) les GAFAM qui ne cachent pas leur ambition de prendre pied dans la recherche. Ne nous méprenons pas sur leurs intérêts sous-jacents !