Accueil > Actualités > « A Sorbonne Université, crise ouverte entre la présidente et deux doyennes de (...)
« A Sorbonne Université, crise ouverte entre la présidente et deux doyennes de faculté » (Le Monde, 17 juin 2025)
mercredi 18 juin 2025
Un article où l’on découvre, si on ne l’avait pas encore compris, que la présidente de Sorbonne Université confond "solidarité" et "inféodation"...
A lire dans Le Monde du 17 juin 2025. Ou ci-dessous, avec l’autorisation du journal.
A Sorbonne Université, crise ouverte entre la présidente et deux doyennes de faculté
Nathalie Drach-Temam, qui devrait briguer un second mandat à la tête de l’établissement, a obtenu de son conseil d’administration, le 3 juin, que soient redéfinies les missions des doyens et des facultés, les deux termes ne figurant pas dans le code de l’éducation.
Par Soazig Le Nevé
Publié le 17 juin 2025 à 10h16 • Lecture 4 min.
Article réservé aux abonnés

Le slogan aurait-il mal vieilli ? « Une université forte et des facultés fortes » était celui qui présidait aux destinées de Sorbonne Université au moment de la fusion des universités Paris-IV et Paris-VI, le 1er janvier 2018. Deux mondes s’étaient embrassés – d’un côté les arts, les lettres et les sciences humaines et, de l’autre, les sciences, l’ingénierie et la médecine – pour accueillir plus de 53 000 étudiants.
Près de huit ans ont passé, et rien ne va plus. L’établissement, auréolé d’une réputation mondiale d’excellence académique, n’en demeure pas moins fragile. Il vient d’ailleurs de subir une cyberattaque, le 5 juin, compromettant courriels, coordonnées bancaires et numéros de Sécurité sociale.
La crise qui se joue est de nature institutionnelle : deux des trois facultés, les lettres et les sciences, héritières directes de Paris-IV et Paris-VI, craignent pour leur avenir. L’objet de leur inquiétude ? Le vote, le 3 juin, d’une réforme des statuts de Sorbonne Université.
Il est prévu que, à l’issue de l’élection à la présidence, en novembre, seront réécrites dans un délai maximal de six mois les missions des facultés. Motif : elles n’ont aucune existence juridique. Un point-clé sera alors à trancher : les doyens resteront-ils élus ou seront-ils nommés par la présidence de l’université ?
Le code de l’éducation, en effet, ne définit pas le terme de « faculté » ni celui de « doyen », lesquels incarnent pourtant l’essence des universités. Depuis 1968, la loi ne reconnaît que des unités de formation et de recherche (UFR), qui, lorsqu’elles décident de se regrouper, forment un ensemble thématique plus vaste nommé « faculté », par tradition.
« Dysfonctionnements »
Le conseil d’administration, avec une majorité de 20 voix favorables (dont les 7 émanant des personnalités extérieures), 12 contre et 3 abstentions, a souhaité repartir d’une page blanche et biffé de ses statuts les articles relatifs aux facultés et à leurs doyens. Il faut « se mettre en conformité avec la législation », justifie la présidente, Nathalie Drach-Temam, « probable candidate » à sa propre succession. Début 2025, elle avait fait appel au ministère de l’enseignement supérieur pour « penser le futur » dans un cadre juridique clair.
Pour laisser place au processus de réécriture, Frédérique Peronnet et Béatrice Perez, doyennes des sciences et des lettres, seront remplacées par des administrateurs provisoires. « D’après la présidente, il n’est pas possible de travailler avec des doyennes qui n’ont pas été élues sur sa liste ou qui formulent la moindre critique, estime Mme Peronnet. On doit marcher comme de bons petits soldats sans aucune construction ni dialogue possible. » « Elle voudrait que les doyennes soient comme la plante verte du bureau », ajoute Mme Perez.
Depuis la fusion, les enjeux de pouvoir sont considérables entre présidence, facultés, mais aussi UFR, auxquels reviennent certaines prérogatives. Cette triplette organisationnelle est « source de dysfonctionnements », avait estimé, en décembre 2024, un rapport du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres).
La gouvernance ne fonctionne pas, confirme Amélie Chastel, cheffe de service à la direction des ressources humaines de la faculté des lettres, représentante de l’UNSA. « Depuis la fusion, les personnels administratifs ont un niveau au-dessus d’eux, explique-t-elle. Et ils voient se multiplier les instructions de la part de l’université, comme si nous, faculté, n’avions pas nous-mêmes une expertise. »
La délégation de signature des deux doyennes a fondu, affirme Mme Perez. « Je ne signe plus aucune convention internationale, aucune convention de partenariat propre à une ou à plusieurs UFR de la faculté des lettres, illustre-t-elle. Des pans relatifs aux ressources humaines ne sont plus dans notre délégation de signature, et des piles de parapheurs remontent à la présidence et “embolisent” les services. »
« On se sent trahis »
Dans son rapport, le Hcéres s’étonne que « la présidence et les décanats [les doyens] ne s’alignent pas sur la base d’une convention d’objectifs et de moyens qui permette de gouverner l’établissement de manière fluide et selon des axes stratégiques partagés ». Cette convention est pourtant inscrite dans les statuts fondateurs, rappelle Mme Peronnet. « Dès 2018, nous avions écrit et présenté une convention d’objectifs et de moyens, comme une feuille de route, narre-t-elle. Elle n’a jamais été mise en œuvre, la présidence de l’époque l’avait balayée en disant que ce n’était pas utile. »
Mme Drach-Temam rétorque que ces conventions « ont été mises en place, mais qu’elles n’ont pas été réactualisées chaque année », car d’autres échanges sont organisés avec les doyens, « notamment lors des dialogues budgétaires, tous les ans ».
Des enseignants-chercheurs s’étonnent de ce changement de cap. « Il n’y a pas de projet derrière, souligne Clémentine Vignal, vice-doyenne de la faculté des sciences. On modifie les statuts pour détourner le regard de tous les problèmes liés à la recherche, l’immobilier, la pénurie de personnel et au déficit d’attractivité de l’établissement. »
Des consultations internes – dont Mme Drach-Temam dénonce le « manque de cadrage » – ont été organisées : 17 UFR sur les 25 que compte l’université se sont prononcées contre la réforme. « Avec un modèle revendiquant plus de verticalité et de centralisation, on se sent trahis », explique Mme Vignal. « Nous allons au pas de charge vers une université intégrée », s’inquiète Jean-Baptiste Rauzy, directeur de l’UFR de philosophie et vice-doyen recherche de la faculté des lettres.
L’ex-doyen des sciences Stéphane Régnier, qui a démissionné en mai 2024 à cause d’« atteintes récurrentes portées au fonctionnement de la faculté des sciences » et d’« attaques personnelles », estime que « la présidente se trompe, en prônant un pouvoir centralisé qui va à l’encontre du projet initial ».
« Deux visions s’affrontent »
A rebours de ses collègues, Bruno Riou, le doyen de la faculté de santé – la troisième qui compose Sorbonne Université –, ne s’émeut pas de la situation. Grâce à un statut dérogatoire de l’UFR de santé, lié à sa dimension hospitalière, il restera élu par sa communauté. « Un certain nombre de choses que réclament les deux doyennes me sont acquises de par la loi », relève-t-il.
Le doyen de santé est en outre favorable à la réforme. « Avoir plusieurs niveaux électoraux – universitaire, facultaire et d’UFR – pose problème. Quand les gens ne sont pas d’accord, il est difficile de mener le bateau », justifie-t-il.
« Deux visions s’affrontent, il nous faudra choisir entre “facultés solidaires” et “facultés indépendantes”, résume Mme Drach-Temam. Les premières encouragent les liens entre elles et fonctionnent par subsidiarité au sein d’un projet commun. Les secondes ont chacune leur projet et voient dans la présidence un rôle limité aux relations avec le ministère et à la représentation extérieure. »
Dans un contexte de sous-financement de l’enseignement supérieur public, « cette centralisation s’inscrit dans une logique de transformation de l’université en entreprise », s’inquiète Antoine Boulangé, secrétaire de la formation spécialisée en santé, sécurité et conditions de travail et membre de la CGT.
Il cite la construction, « à 60 millions d’euros », d’un « hôtel d’entreprises » sur les derniers terrains disponibles de l’université. Mais aussi les partenariats avec de grosses entreprises comme Safran, Thales et Dassault. « Quel avenir se dessine à partir de là ?, s’inquiète M. Boulangé. Que peuvent peser des UFR, notamment celles de la faculté des lettres telles que le latin ou la philosophie ? »
Soazig Le Nevé
SUD - IDÉES Sorbonne Université