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Violences gynécologiques - Lettre ouverte à la présidente de Sorbonne Université

lundi 13 février 2023

Lettre ouverte à l’attention de la présidente de Sorbonne Université

Signataires :
Solidaires Etudiant·e·s SU, Les Fallopes (association d’étudiant-es en médecine), UNEF, SUD éducation, CGT, SNCS-FSU, SNASUB-FSU

Madame la présidente,

Etudiant·es et personnels de Sorbonne Université,

Emile Daraï est gynécologue à l’hôpital Tenon et professeur des universités à la faculté de médecine de Sorbonne Université. Il fait l’objet de 32 plaintes pour viols et violences gynécologiques, et de plus de 190 témoignages dénonçant des violences gynécologiques, physiques et verbales, notamment des actes gynécologiques pratiqués sans consentement durant ses consultations. Ces témoignages ont été recueillis par le collectif Stop VOG (violences obstétricales et gynécologiques), fondé par des patientes qui se mobilisent depuis plusieurs années. Il a été mis en examen par la justice le 23 novembre 2022 pour « violences volontaires par personne chargée d’une mission de service public » et mis sous contrôle judiciaire avec « interdiction de contact avec les victimes ».

A la suite des accusations portées à l’encontre d’Emile Daraï en 2021, une enquête interne conjointe a été diligentée par la gouvernance du Groupe Hospitalier AP-HP et par Sorbonne Université et a rendu ses conclusions en novembre 2021. Les mesures prises par l’AP-HP (Assistance Publique-Hôpitaux de Paris) et SU ont été le retrait de ses responsabilités de chef de service, de ses responsabilités pédagogiques et de direction des stages des internes, la mise en place d’une annonce des actes médicaux par une infirmière, ainsi que l’obligation de recueillir le consentement écrit de ses patientes et d’être accompagné par un membre du personnel soignant lors de ses consultations.

Aujourd’hui, le Pr Emile Daraï continue de donner des consultations gynécologiques à l’hôpital Tenon et il est également toujours autorisé à donner des cours à Sorbonne Université.

En tant que personnels et étudiant·es de Sorbonne Université, nous dénonçons le manque d’action et de prise de position de la part de la direction de notre université.

Les mesures prises ne sont pas suffisantes. Recueillir le consentement des patientes avant la réalisation de la consultation ne résout en rien le problème des actes réalisés par surprise et/ou avec violence, ni celui de l’absence de prise en compte de la douleur des patientes, comme cela a été rapporté dans de nombreux témoignages des pratiques d’Emile Daraï. Au contraire, cela peut exercer une contrainte supplémentaire sur la patiente qui n’a plus le choix de refuser ou d’arrêter un acte en cours parce qu’elle a au préalable signé un papier. Concernant l’obligation d’être accompagné par un personnel, cela n’est pas plus efficace. En effet, les témoignages rapportent que la plupart de ces agressions présumées ont été commises en présence d’étudiant·es et de personnels soignants, ce qui n’a alors eu aucun effet sur le comportement du Pr. Daraï puisque le fonctionnement hiérarchique et corporatiste des services hospitaliers permet difficilement de rapporter des faits qui concernent un médecin sénior et (ancien) chef de service. Ce dernier point fait même l’objet d’une partie du rapport de l’enquête de l’AP-HP-SU portant sur « le fonctionnement pyramidal des services hospitalo-universitaires ». Le rapport d’enquête relate aussi que des étudiant-es (externes) du service de gynécologie-obstétrique de l’hôpital Tenon ont été profondément choqué-es par certaines consultations auxquelles ils et elles ont assisté.

Cette affaire n’est pas un cas isolé mais s’inscrit dans le cadre d’une omerta permise par une culture hiérarchique et patriarcale bien ancrée dans les milieux de la médecine et des universités françaises. Elle est symptomatique d’une hiérarchie, d’une opacité, d’un corporatisme de l’organisation médicale prête à se protéger aux dépens des victimes de violences sexistes et sexuelles.

Nous dénonçons également la fabrique de l’impunité que constitue la JDHU (juridiction disciplinaire des personnels enseignants hospitaliers).

Cette procédure disciplinaire spécifique aux personnels enseignants hospitaliers est saisie par les ministres chargés de l’enseignement supérieur et de la santé, sur demande conjointe du/de la directeur·rice général·e du CHU et du/de la président·e de l’université.
Cependant, cette juridiction ne semble pas se préoccuper des manquements susceptibles d’être sanctionnés, dont parlent pourtant les media, les associations de patientes, les syndicats... Elle a réussi l’exploit de traiter 30 cas en 65 ans d’existence. Concernant l’affaire Daraï, elle n’a été saisie ni par les ministres, ni par SU, ni par l’AP-HP.
La Cour des Comptes a enquêté il y a un an sur cette juridiction disciplinaire. Bien qu’encline à euphémiser ses critiques, elle écrit :
" Elle se caractérise ainsi par une activité très faible [...] et concentrée sur des faits relativement graves. Pour autant, les délais de jugement apparaissent excessivement longs."
ou encore :
"Le paradoxe des statuts [des médecins hospitaliers] consiste à les soumettre à une surveillance théoriquement étroite alors que, en pratique, ils sont très rarement poursuivis. [...] ce contrôle apparaît largement théorique, car les dossiers disciplinaires, comme les sanctions, sont rares."

Cette situation dans laquelle les agresseurs ne craignent rien et où c’est aux femmes de mettre en place des stratégies d’évitement est inadmissible dans une université qui prétend « s’engage[r] pour lutter au quotidien contre les violences sexistes et sexuelles ».

Il est temps de mettre fin à cette omerta et que la honte change de camp !

Nous nous associons à la pétition du collectif StopVOG pour demander la suspension provisoire du professeur Daraï de toutes ses activités professionnelles dans le public, dans le privé et à l’université, le temps des poursuites judiciaires, afin de garantir la sécurité de toutes les patientes et de protéger également les étudiant-es du service de gynécologie-obstétrique de l’hôpital Tenon. Nous vous invitons à lire et signer la pétition dont voici le lien : https://www.mesopinions.com/petition/sante/gynecologue-emile-darai-vise-32-plaintes/197710

Nous demandons également que les études de médecine ainsi que les formations continues des médecins abordent explicitement et en profondeur la question des violences gynécologiques et médicales, notamment en partenariat avec des collectifs de patient·es, dans l’intérêt d’une médecine plus solidaire, plus juste et plus humaine.